ALICE AU PAYS DES MERVEILLES
« Il faut être objectif. Les agents vont être émerveillés de leur nouveau cadre de travail »
Alain Bernard, La Voix du Nord, 30 /12/19
Alice est rentrée à la CUDL au milieu des années 80. Tranquille, sérieuse et appliquée, elle a fait son petit bout de chemin rue du Ballon : de services en services, elle a toujours fait son boulot avec sérieux et engagement. Un élément sur qui on sait pouvoir compter quand on lui confie des missions.
Toujours disponible, jamais absente. Tiens, je me rappelle l’avoir croisée dans les couloirs du siège. Une jambe dans le plâtre, une béquille sous le bras gauche et des dossiers sous l’autre bras. Une mauvaise chute l’avait forcée à l’arrêt 32 jours. Pour la remercier d’avoir passé outre l’avis de son médecin en reprenant le travail trop tôt, on lui avait refusé une augmentation de grade au prétexte de ces 2 jours d’arrêt de trop dans la même année (A la CUDL, plus de 30 jours d’arrêt signifiait pas d’avancement, pas d’échelon, et baisse de la prime de fin d’année). Mais bon, Alice, elle a continué à faire le boulot sans rechigner.
35 ans à venir au siège en transport en commun. Alice, elle n’aime pas trop conduire et, après tout, elle est écolo avant l’heure. Pensez ! 20 minutes de marche pour rejoindre son bus et près d’une heure pour arriver rue du Ballon. Mais Alice, elle faisait ça tranquille, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige.
Puis vint l’émerveillement selon Alain Bernard. Allez hop ! Direction le Boulevard des cités unies : Emerveillage, sublimitude et bonheur !
Sauf qu’à Alice, on lui a dit : Ben toi on va te mettre au fin fond de Lomme parce que, tu comprends, il faut faire de la place pour les services indispensables à la MEL : la communication et les RH… Le reste des services, genre la voirie, le parc auto ou l’assainissement, c’est pas trop nouveau monde managerial !
Alice ça lui faisait juste 1h30 en plus de transport en commun. Et puis, là-bas, au fin fond de Lomme, son nouveau bureau, c’est un Algeco qui a presque son âge, bourré d’humidité, très mal chauffé. Alice, elle a eu beau essayer d’expliquer son mal être devant cette situation, on l’a, au mieux, à peine écoutée, au pire dit que c’est comme ça, tu te demmerdes, faut t’y faire et pour le transport, t’as qu’à t’acheter une bagnole ! Ils sont très compréhensifs ses directeurs… C’est l’école managériale comme on l’a bien apprise depuis 6 ans.
Et, ce qui devait arriver arriva, un sale après-midi de décembre, on a retrouvé Alice dans son Algeco allongée devant son bureau. Une crise de nerfs comme n’importe qui en aurait fait à sa place.
Évidemment, l’arrêt de travail fut obligatoire. Alice faisait une dépression sévère. Moi qui la connais, je peux vous dire que ce n’est pourtant vraiment pas son style.
Depuis, on l’a laissée bien seule à la MEL. Des coups de fils, polis certes, mais qui ne l’aident pas à s’en sortir. Alice, elle aurait aimé entendre «reviens nous vite, on a besoin de toi» ou « tu nous manques, on a besoin de ton expérience et de ton professionnalisme». Au lieu de ça, souvent, elle n’entendait que «reste chez toi..».
Alice aurait bien voulu connaître le pays des merveilles du nouveau siège selon Alain Bernard, mais depuis une semaine elle est dans un centre spécialisé pour dépression sévère. Je l’embrasse.
« La Reine avait une seule méthode pour résoudre toutes les difficultés, petites ou grosses.
-Qu’on lui coupe la tête ! dit-elle sans même lever les yeux. » …
Lewis Caroll, Alice aux pays des merveilles
Thierry DUEL