Le 10 juillet 2012, le journal de 20 heures de France 2 propose un reportage sur la situation des agents de l’État et leur avenir en matière d’effectifs et de rémunérations dans les prochaines années. Un nouvel exercice de propagande qui illustre aussi bien l’homogénéité des médias dominants, pour une nouvelle cure d’amaigrissement de la fonction publique, que de la pauvreté informative des reportages des journaux télévisés.
Une solution martelée : se « serrer la ceinture »
Le journaliste lance le reportage : « Le syndicats voulaient obtenir une revalorisation des salaires des fonctionnaires. Ce ne sera pas le cas. Selon la ministre de la Fonction publique, les finances de l’État ne le permettent pas. »
Une revendication sur laquelle la ministre, Marylise Lebranchu, émet immédiatement une fin de non recevoir, au nom d’une situation forcément « catastrophique » : « Si nous avions pu avoir à la fois un discours sur la réhabilitation de la fonction publique et des comptes de la France qui soient en excellente santé, ce qui n’est pas le cas, bien sûr, on aurait été beaucoup plus loin. »
Le journaliste enchaîne sur la question de l’emploi : « Pour les fonctionnaires, les effectifs vont diminuer en moyenne de 2,5 % partout, sauf dans l’Éducation nationale, la Justice et l’Intérieur [1], où ils augmenteront. Les agents de l’État que nous avons rencontrés sont, pour la plupart, résignés. »
Une prétendue résignation diagnostiquée à partir d’un échantillon de… trois individus. Mais qu’importe, puisqu’ils présentent l’avantage d’être unanimes pour affirmer que le « serrage de ceinture » annoncé par le gouvernement est absolument indispensable, même si le premier met en garde contre des nouvelles réductions d’effectifs dans les administrations qui ne seront pas prioritaires en matière de recrutements.
Premier témoignage : « La situation des finances publiques est telle qu’on me demande de geler mon salaire. Ça, ça ne me choque pas. Ce qui me gêne plus, c’est les postes non remplacés. Car on ne peut pas faire toujours plus avec moins d’effectifs, c’est pas possible. »
Le deuxième vient immédiatement corriger ce dernier point négatif : « L’effort, c’est logique de le faire, à partir du moment où c’est pour redéployer des moyens sur des ministères où il y a des priorités de service public qui sont, je crois, reconnues par l’ensemble de la population. »
Le troisième enfonçant le clou de la seule direction possible : « Je ne me sens pas du tout sacrifiée, car ces mesures sont nécessaires, sinon les déficits seront tels qu’on ne pourra plus les payer et qu’il faut faire des économies partout. »
Fermez le ban ! Le tour est donc joué. Et le journaliste peut alors conclure ce reportage express d’1 min 18 s sur la « pédagogie de l’effort » : « Jean-Marc Ayrault annonce une concertation à l’automne pour les politiques de rémunérations dans la fonction publique ».
Une concertation dont on imagine déjà que les médias dominants vont célébrer qu’elle illustre à merveille la nouvelle pratique gouvernementale d’un « dialogue social » de qualité, mais en exigeant sans doute qu’il débouche sur des solutions… rigoureuses.
Un devoir oublié : informer
Si nous considérons que l’une des premières obligations des médias d’information – a fortiori pour un média dit « de service public » – est d’apporter une mise en perspective du sujet qu’ils évoquent, afin que les téléspectateurs puissent se faire leur propre opinion, nous étions en droit d’attendre de France 2 qu’elle mette à leur disposition un certain nombre de données éclairant ce débat. Il n’en fut rien.
Des informations qui contrebalancent le dogme médiatique de l’hypertrophie de la fonction publique ont été dissimulées aux téléspectateurs (voir, en annexe, un échantillon de ces informations… oubliées par France 2).
Bref, au lieu d’informer, France 2, transformée en « attachée de presse du gouvernement » [2], s’est livrée à un exercice de propagande unilatéral qui rappelle que, à l’instar de Laurent Joffrin, les médias dominants ne se sont, eux, toujours pas… résignés à « brailler » contre un « État obèse [et] boursouflé » [3].
Denis Perais
Annexe : Les informations oubliées par France 2
Voici quelques éléments contenus dans le rapport d’information « sur la soutenabilité de l’évolution de la masse salariale de la fonction publique »,enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2011 [4] par les députés Bernard Derosier, Marc Francina et Charles de La Verpillère, dans le cadre des travaux de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :
1 – « le niveau d’emploi dans les administrations publiques » dans notre pays n’est pas plus important que dans nombre d’autres : 88,3 pour 1000 habitants en France contre 88,1 au Royaume-Uni, plus de 100 au Canada, et encore davantage dans les pays d’Europe de Nord (page 16) ;
2 – « rapportées au PIB, les dépenses de fonctionnement de l’administration en France représentent en 2008, 17,6 % contre 19,1 % aux États-Unis, 20,5 % au Canada et 23,3 % au Royaume-Uni » (page 23) [5].
3 – le niveau des des dépenses de rémunérations des administrations publiques dans le produit intérieur brut (PIB) a… diminué de 7 % à 6,8 % entre 2006 et 2009 (page 23) !
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que le nombre d’agents publics (fonctionnaires et contractuels) évoluant dans les administrations d’État ou établissements publics administratifs est identique aujourd’hui à ce qu’il était en 1990, et que, « depuis 1998, les effectifs de la fonction publique d’État ont diminué en moyenne annuelle » (page 20). Et cela, alors que la population française est passée, entre le 1er janvier 1990 et le 1er janvier 2012, de 58 à 65 millions d’habitants [6].
Mais aussi, soulignons :
que la valeur du point d’indice (4,6303 €), l’élément déterminant dans le calcul des salaires des fonctionnaires, n’avait pas bougé depuis le 1er juillet… 2010 ! Que « la perte de leur pouvoir d’achat est de plus de 10 % depuis 2000 » [7].
que les fonctionnaires voient, depuis 2011 – un « cadeau » introduit par la loi du 9 novembre 2010 sur la réforme des retraites –, augmenter leurs cotisations pour la pension civile de 0,27 % chaque année, jusqu’en 2020, sans la moindre compensation salariale.