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Intelligence artificielle (IA) : entre menaces et perspectives

Intelligence artificielle (IA) : entre menaces et perspectives

Colloque CGT, le 22/11/2023 à Montreuil, 9h-17h, +/- 300 participants,

discours de clôture de Sophie BINET, Secrétaire générale de la CGT

 

Commençons ce témoignage par une première évidence qui coule de source : « l’IA n’est rien sans électricité ».

La journée commence par quelques constats sur l’omniprésence de l’IA dans notre quotidien. Impossible de passer à côté du sujet qui s’immisce dans tous les domaines depuis l’industrie jusqu’aux activités tertiaires, dans l’enseignement et la médecine. Autant dire que nos vies professionnelles comme nos vies privées sont impactées. Un rapide portrait de l’IA nous emmène sur les traces des algorithmes, des capacités d’apprentissage (machine et deep learning), des réseaux de neurones artificiels, de l’IA affective plus récemment. En toile de fond, un problème de définition de l’IA et une cascade d’interrogations tant les ambivalences sur les intentions et les buts poursuivis sont grandes. L’IA a la prétention de simuler le fonctionnement du cerveau humain. Va-t-elle se substituer à l’homme ? Qui pour prévenir les éventuelles dérives ? Quel avenir pour nos emplois dans le futur ? Une nouvelle révolution industrielle est-elle en marche ? Pour certains, le phénomène va bien au-delà.

Le concept d’intelligence artificielle est apparu pour la première fois en 1956 à Dartmouth, dans le Massachusetts (USA), à l’occasion d’un colloque réunissant 20 chercheurs. La paternité de l’intelligence artificielle est attribuée à John McCarthy …

 

La première table ronde autour de la question « allons-nous vers un capitalisme algorithmique ?  » pose clairement l’appétence des acteurs économiques pour la data (les données), son extraction et son exploitation. En 10 ans de temps, les entreprises les plus valorisées sur le marché sont les GAFAM, les géants du Web. Elles ont détrôné les entreprises d’extraction du pétrole comme Exxon Mobil ou TOTAL. Ces deux dernières années ont vu des levées de fonds historiques : pour le seul premier trimestre 2023, ce sont 250 M€ de levées de fonds en France.

Il n’y a pas d’intelligence artificielle sans algorithmes, de même que l’algorithme sans les données ne sert à rien. Le développement des algorithmes va donc de pair avec le stockage des données et les investissements dans les data centers qui se concentrent autour de 3 mastodontes que sont Amazon, Microsoft et Google. Les enjeux économiques et sociétaux sont énormes. Certains États l’ont compris qui investissent de l’intelligence humaine dans le développement de l’IA : USA, Chine, Russie. Ces acteurs ont une capacité de lobbying énorme. 96 milliards d’euros investis aujourd’hui dans le monde, cet investissement sera multiplié par 20 dans les prochaines années.

Ce qui est frappant, c’est le déterminisme qui accompagne l’ancrage de l’IA dans nos sociétés modernes, dans les projets politiques de toute nation. Il ne se passe pas un jour sans que l’on fasse état de l’IA dans la production, la création, la médecine, l’armée … Le sujet est bien transdisciplinaire. L’IA suscite tous les espoirs. Tout comme elle fait peur. L’IA est dénoncée pour les dégâts qu’elle cause sur l’emploi. Des déclarations récentes de Mark Zuckerberg empreintes de vision politique, de préoccupations sociales et environnementales sont une consécration de l’IA.

Alors, une régulation de l’IA est-elle souhaitable et est-elle possible surtout ? Y a-t-il consensus pour dire que l’IA ne doit pas prendre de décision à la place de l’homme.  C’est une course contre la montre qui est engagée par les États pour tenter de maîtriser et de réguler le développement de l’IA, en France comme en Europe et ailleurs dans le monde. La soutenabilité du développement de l’IA soulève déjà des inquiétudes. Les besoins énergétiques de l’IA sont exponentiels. Les supercalculateurs Deep Blue (IBM) et Alphago sont 7000 fois plus énergivores qu’un cerveau humain. Entre 2018 et aujourd’hui, ChatGPT est passé de 117 millions de paramètres à plus de 1000 milliards de paramètres. La soutenabilité de l’IA est clairement posée. Des initiatives européennes et françaises ont vu le jour ces dernières années pour un cloud souverain qui garantit la protection des données (référentiel Secnumcloud).  Sur les milliers de milliards de données, seulement 2 à 3 % sont utilisés.

La neutralité de l’IA n’existe pas car elle accaparée par les plus puissants ou ceux qui ont la prétention de le devenir. Que penser du rachat d’une partie des activités d’ATOS-Bull, hébergeur de données sensibles sur la santé et le nucléaire, par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky ? Le fossé se creuse entre les pays qui investissent dans ces technologies et celles qui sont à la traîne ou qui sont dans une posture de refus pour des raisons éthiques et morales. L’IA marginalise une part de plus en plus importante d’États dans le monde, au risque de voir demain une fracture entre des pays hyperqualifiés et d’autres hyper-sousqualifiés.

L’IA est le nouvel eldorado de la capitalisation des connaissances et du savoir. 80% des employés seront à plus ou moins brève échéance affectés par l’IA dans leur travail. L’IA générative permettrait de générer 7% de PIB par an. Les métiers les plus concernés par l’IA générative sont les cols blancs et toutes les professions des fonctions administratives et des fonctions support. 10% des salariés en France utiliseraient l’IA générative dans leur travail. Le numérique a accru le contrôle des salariés. Un témoignage apporté le jour du colloque par une salariée d’une plate-forme de service client est assez symptomatique des nouvelles formes d’asservissement à l’IA.

 

Doit-on s’inquiéter de l’IA pour les emplois d’aujourd’hui et de demain ?

Plusieurs faits sont à analyser pour répondre à cette question :

  • Les pays à revenus élevés seront les plus touchés par l’IA ;
  • La digitalisation du travail a profondément transformé les univers professionnels et préparé le terrain à l’IA ; l’IA agit comme un accélérateur de la transformation numérique.

Transformations plutôt que menaces, des opportunités existent de créer de nouveaux emplois en plus de ceux dédiés au numérique : 151000 emplois créés dans le numérique en France, en 2018.

« La machine » fait-elle mieux que l’homme ? La question est peut-être mal posée … Prenons deux anecdotes :

  • Travailler c’est désobéir. C’est bien connu, pour bien faire le travail, il fait savoir adapter les consignes, parfois les contourner et inventer en permanence d’autres règles. L’IA sait-elle désobéir ?
  • Elon Musk a déclaré le contraire quand en 2018 il a publiquement reconnu les retards de livraison de son usine entièrement robotisée pour produire le model 3 de sa marque TESLA. L’objectif de 5000 voitures par semaine n’est pas atteint à cause d’une trop forte automatisation.

Dans le domaine des banques et assurances, des pans entiers de métiers disparaissent. Les algorithmes s’imposent de plus en plus dans les activités de backoffice avec des assistants virtuels. Dans le domaine de la justice civile, la formalisation du jugement est parfois confiée à des algorithmes.

Que retenir de cette journée ? Tout d’abord, l’intelligence artificielle n’existe pas ! Une partie de la communauté des experts préfère parler d’intelligence augmentée. Ce concept reflète davantage l’état actuel de la technologie et des usages de l’IA.  L’intelligence est avant tout celle des humains à qui il appartient de décider. La question n’est pas d’être pour ou contre l’intelligence artificielle mais plutôt de nous interroger sur ses finalités et pour quels contenus. Exit les spéculations autour de l’IA, il devient primordial de créer du débat collectif autour de l’IA, des services qu’elle peut rendre en accordant toujours plus d’attention à la régulation des algorithmes.  L’innovation ne doit pas rester le privilège du capital. Sophie BINET, secrétaire générale de la CGT, nous exhorte à nous saisir de toutes ces questions autour des 3 enjeux que sont : (1) nourrir le débat démocratique à tous les niveaux, (2) exiger plus de moyens de financement pour la recherche publique, (3) contrôler les activités de gestion des données. L’IA est traitée par la commission Environnement et industrie, l’une des 15 commissions de travail.

Eric Marie