«Le gouvernement avance masqué»
LOI TRAVAIL Philippe Martinez, le leadeur de la CGT, s’en prend à l’exécutif.
PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LERNOULD ET MATTHIEU PELLOLI DANS LE PARISIEN
L’ENTENTE CORDIALE est terminée. Un mois après l’élection d’Emmanuel Macron, les crispations surgissent avec les syndicats sur la réforme du Code du travail, mesure phare du début du quinquennat. Nos révélations lundi sur les pistes explosives étudiées par l’exécutif, appuyées par celles de « Libération » hier, mettent à mal la stratégie du gouvernement. Alors que celui-ci assure jouer la concertation en toute transparence, comme il l’a fait mardi en présentant son calendrier, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, est persuadé qu’il attend les élections législatives avant de dévoiler ses intentions.
Nos révélations et celles de « Libération » montrent que l’exécutif étudie des pistes qu’il n’a pas évoquées avec les syndicats. Joue-t-il un double jeu ?
PHILIPPE MARTINEZ. Apparemment, on ne nous dit pas tout. Depuis mardi, nous avons un calendrier pour discuter de trois sujets. Mais concrètement, je ne sais pas de quoi on va parler puisque nous n’avons rien entre les mains, hormis les articles des journaux… qui ne sont pas des textes officiels, si j’ai bien compris les démentis. Pour autant, la CGT joue le jeu puisqu’on a déposé un texte de 15 pages de propositions à la ministre du Travail la semaine dernière. Une négociation, c’est : voilà ce qu’on propose, voilà ce que le gouvernement propose et après on fait une synthèse. Là, ce n’est pas une négociation, puisque le gouvernement, lui, n’a rien mis de concret sur la table. C’est juste de la concertation. Quant à la méthode, elle est scandaleuse. On nous annonce presque 50 rencontres. Certes, mais toute organisation confondue! Pour la CGT, ce sera seulement trois réunions de deux heures sur les trois thèmes. Sur un sujet aussi vaste que le Code du travail, ça n’a pas de sens. Ce qui nous fait dire que le gouvernement avance masqué, au moins jusqu’à dimanche.
“LA CGT JOUE LE JEU. ON A DÉPOSÉ UN TEXTE DE 15 PAGES DE PROPOSITIONS À LA MINISTRE DU TRAVAIL.”
Il cacherait ses intentions jusqu’aux législatives ?
Oui. Il ne veut pas être précis.Lors de la conférence de presse mardi, les interventions du Premier ministre et de la ministre du Travail étaient creuses. Ça donne l’impression qu’ils en diront plus après les élections. Si j’en crois ce que je lis dans la presse, ça peut être la catastrophe pour les travailleurs.
Quel est votre principal motif d’inquiétude ?
L’inversion de la hiérarchie des normes. C’est-à-dire les accords d’entreprise à la place de garanties collectives. Nous étions contre en 2016, nous n’avons pas changé d’avis.
Redoutez-vous une remise en cause du CDI ?
Par le biais d’accord d’entreprise, le gouvernement peut toucher au contrat de travail. Il y a eu des tentatives, comme avec les contrats de projet — des CDI le temps d’une mission. Mais dans les faits ce sont des CDD. Avec l’inversion de la hiérarchie des normes, les patrons pourront, comme dans ce cas de figure, changer les règles d’un CDI. Et en même temps assouplir celles du CDD en modifiant le nombre de renouvellements possibles. Les salariés pourront donc rester précaires, alors qu’occupant le même poste, plus longtemps.
Etes-vous toujours opposé à un plafonnement des indemnités prud'homales ?
Le gouvernement a fait un tour de passe-passe. Il ne parle plus de barémisation des indemnités, mais de réglementation des dommages et intérêts pour préjudice. C’est pas la même chose. L’indemnisation du licenciement, elle est réglementée dans la convention collective. Tant d’ancienneté, c’est tant de mois de salaires, etc. Et il y a le préjudice, sur les conditions du licenciement, la prise en compte des situations familiales. Le gouvernement veut y toucher. Mais comment peut-on chiffrer à l’avance le préjudice d’un licenciement ! Pour nous, c’est non !
Irez-vous aux réunions de concertation cet été ?
Oui, mais si c’est pour qu’on serve de prétexte au gouvernement en disant : « Vous voyez, on a vu les partenaires sociaux, on a fait ce qu’il fallait », je préviens : on n’a pas des têtes d’alibi. On demande une négociation et un aménagement du calendrier. Et si des mesures explosives apparaissent… Je vous dis, nous n’avons pas changé d’avis depuis l’année dernière. La mobilisation est d’actualité. Quand, comment, sous quelle forme ? On ne sait pas encore.
“JE PRÉVIENS : ON N’A PAS DES TÊTES D’ALIBI. ON DEMANDE UNE NÉGOCIATION ET UN AMÉNAGEMENT DU CALENDRIER.”
Mais le nouveau président a la légitimité des urnes…
C’est ce qu’il m’a dit quand je l’ai vu. Donc je lui ai sorti les résultats des élections. Au 1er tour, il a obtenu moins d’un quart des votants, avec très peu de votes d’adhésion. Et il n’y a jamais eu autant d’abstentions pour un second tour à une présidentielle, ce qui montre un certain malaise. Il ne faudrait pas que le président l’oublie !
Mais si aux législatives la République en marche obtient la majorité absolue, comment la CGT pourra-t-elle se mobiliser ?
La CGT fonde ses positions à partir de ce que disent les salariés. Et ce, toute l’année. Pas une fois tous les cinq ans. Pour autant, nous allons regarder attentivement ces élections, notamment le taux de participation. Je crois comprendre que pour les Français de l’étranger, il a été très faible… Et puis entre voter pour quelqu’un et adhérer à l’ensemble de son programme, il y a une marge importante. La République en marche peut avoir jusqu’à 400 députés. Mais à partir d’une situation aussi confuse politiquement, Emmanuel Macron ne pourra pas dire : « Vous avez vu, j’ai la majorité donc je fais ce que veux. »
À propos de l’auteur