Les Français savent que les garanties d’emploi, d’indépendance des fonctionnaires constituent une pierre angulaire du système social.
Par Jean-Paul Piérot
Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à diviser les Français avec sa machine infernale de l’identité nationale. Á la lecture de toutes les enquêtes réalisées depuis des mois sur les rapports entre la population et les travailleurs des services publics et les fonctionnaires, tout porte à croire qu’il n’y parviendra pas davantage. Quand l’exécutif croit faire un bon coup en annonçant sans ménagement que les fonctionnaires doivent être soumis au même arbitraire que celui qui règne dans le secteur privé, qu’ils seront désormais licenciés quand l’État supprimera leurs postes sans leur offrir une équivalence acceptable, il croit surfer sur les frustrations des salariés, sur un présumé sentiment « antifonctionnaires », assimilés à des « privilégiés » de « l’emploi à vie » Une nouvelle fois, c’est l’échec, une véritable gifle : 57% des Français, selon un sondage publié hier dans la Tribune, désapprouvent la politique de Nicolas Sarkozy à l’encontre de la fonction publique.
En réalité, le président se trompe profondément sur les convictions qui habitent notre société. Il prête aux Français les sentiments qui sont ceux de sa caste, de la fraction la plus libérale de la droite, la plus soumise aux desiderata du grand patronat à l’égard de l’État et des fonctionnaires. Il suffirait d’attiser le feu par quelques formules désobligeantes, vulgaires, en un mot populistes. Il a moqué les chercheurs, qui travaillent hors du temps du profit immédiat. Il a cru faire rire en prétendant que les élèves des milieux populaires n’avaient pas droit à la culture en citant l’ennui qu’avait dû lui inspirer, jadis, la Princesse de Clèves. Il a martelé l’idée que la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux nous ramènerait à la situation de 1992, période ou la France n’était pas sous-administrée. Comme si la crise ne s’était pas aggravée en dix-huit ans ! On n’en finirait pas de citer tous les plus grossiers traquenards visant à dresser les salariés en butte aux délocalisations, précarisés, maltraités par un système de management qui cultive la souffrance, aux profs qui se battent au quotidien pour limiter les effets dévastateurs des suppressions de postes.
Le chef de l’État ne comprend pas ou méprise délibérément les raisons du soutien de la France à ses fonctionnaires. Et pourtant, soyons justes, il en a abordé une lors de son discours radiotélévisé du 31 décembre, quand il déclara, lueur de sincérité, que la France avait mieux résisté à la crise financière que d’autres pays européen en raison de son modèle social. Un modèle social avancé a besoin d’hommes et de femmes pour le mettre en actes : il faut des enseignants, des postiers, des travailleurs de l’équipement, des médecins et des infirmières et infirmiers dans les hôpitaux publics, des inspecteurs et des médecins du travail pour protéger les droits et la santé des salariés. Et les Français savent d’expérience que les garanties d’emploi, d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique constituent une pierre angulaire du système social. Qu’en sera-t-il quand on supprimera un poste occupé par un fonctionnaire qui déplaît et à qui on proposera une mise au placard ? Ce sera le retour à une pratique que l’Allemagne a connue : les « berufsverbote », ces interdictions professionnelles qui frappaient de nombreux démocrates. La fonction publique, dont le statut fut adopté dans l’élan de la Libération et réactualisé par le ministre communiste Anicet Le Pors après 1981, peut être un obstacle à l’entreprise de démolition sociale à l’œuvre depuis 2007. Les attaques de Nicolas Sarkozy sont cohérentes avec une certaine conception de la France. Il semble que cela ne soit pas celle du peuple français.
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